Catalogue Des Livres De La Bibliotèque De Feu Chrétien-Guillaume Lamoignon-Malesherbes, Paris, Nyon 1797, 32 + 230 p., in-8°.
Le catalogue de vente de la bibliothèque de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, à la date du 1
er mai 1797, ne reflète sans doute pas le contenu de sa bibliothèque, ou d’une de ses bibliothèques, en son hôtel, rue des Martyrs, ou en son château de Malesherbes : il s’agit plutôt de la reconstitution de l’ensemble de ses livres, regroupés dans des circonstances et des conditions qui nous sont inconnues, par un libraire qui avait été en relation avec lui, Nyon l’Aîné
1. Le catalogue, dont la page de titre porte le portrait de Malesherbes – le fait est assez rare pour mériter d’être signalé – est une forme d’hommage à une figure révérée.
Ses 7 413 articles présentés en près de cinq cents pages ne peuvent réellement permettre d’estimer combien de livres ont alors été proposés à la vente : le nombre des volumes n’est que rarement précisé. Les identifications sont sommaires, et le classement atypique : il ne semble en tout cas pas refléter une bonne connaissance du contenu des livres… Il n’y a pas lieu de croire qu’il soit dû au possesseur. Le faible nombre d’ouvrages anciens semble montrer qu’il s’agit non d’une bibliothèque transmise par héritage ou acquise en bloc, mais d’une collection constituée par Malesherbes lui-même, conforme à ses goûts, sans égard pour les canons traditionnels ou contemporains ou pour les modes qui règnent dans certaines bibliothèques.
Ce catalogue a la particularité de présenter à la fois des ouvrages rarissimes (herbiers, ouvrages de géographie), qui ont suscité la convoitise de la Commission des arts pendant la Révolution, et un très grand nombre de livres de peu de valeur, souvent des in-douze, voire de simples brochures : aucun intérêt bibliophilique n’a présidé à la collection de Malesherbes, qui s’oppose à celle, luxueuse voire exceptionnelle, de son cousin, Chrétien-François de Lamoignon (1735-1789), vendue en 1791. On notera cependant que Malesherbes possédait un exemplaire de l’Encyclopédie « avec les cartons supprimés » dans les derniers volumes (n° 241, vendu 456 livres), et l’Histoire naturelle de Buffon et Daubenton (n° 752, 38 vol. in-4°, 453 livres2). Mais on ne signale que rarement des reliures intéressantes, et si quelques exemplaires sont rares et atteignent des sommes importantes, c’est pour des raisons qu’on évoquera plus loin.
La fiction en est presque absente (on peut néanmoins la trouver là où on ne l’aurait pas cherchée, dans la section « Histoire »), les arts et la musique totalement (Malesherbes ne l’aimait pas) ; le droit apparaît beaucoup moins qu’on ne pourrait le croire chez quelqu’un qui faisait partie d’une dynastie parlementaire. En revanche, l’histoire est bien représentée – même si le classement selon lequel 46% des livres semblent en relever est aberrant (elle englobe aussi la jurisprudence), il n’en reste pas moins que l’intérêt de Malesherbes est patent. Les disciplines-reines sont cependant les sciences naturelles (on signalera surtout la présence des sciences appliquées, avec notamment d’innombrables manuels d’agronomie, dont certains publiés à l’étranger et dans diverses provinces) et la géographie (voyages dans toutes les parties du monde, atlas). On note aussi qu’il possédait beaucoup d’ouvrages en anglais, langue que manifestement il lisait couramment. Mais un des traits saillants de cet ensemble est la présence d’ouvrages de botanique, parfois très spécialisés et recherchés, comme cette Historia muscorum de Dillen (Dillenius), publiée en 1741 à Oxford, que recherchait Jean-Jacques Rousseau, et qui atteint la somme de 660 livres – moins toutefois que le magnifique herbier constitué par Malesherbes lui-même (741 livres) : on sait que les échanges d’échantillons de plantes et les discussions sur la botanique ont constitué entre les deux hommes un lien très puissant. L’intérêt que Malesherbes portait au développement d’espèces nouvelles, aux expérimentations permettant d’enrichir l’agriculture et en particulier la sylviculture, trouve là sa confirmation.
Les œuvres des philosophes que Malesherbes a connus et parfois protégés lorsqu’il dirigeait la Librairie sont évidemment bien représentées (on a déjà signalé le cas de l’Encyclopédie : on sait le rôle qu’il a joué pour sauver l’entreprise), mais surtout sous la forme de « dossiers », regroupant les pièces pour et contre (parfois plusieurs dizaines de pièces : onze sur le seul Esprit des lois, mais cent cinq sur Voltaire, soixante-trois sur Rousseau). Il paraît aussi s’être tenu au courant de ce qui s’est publié dans les années 1770, comme en témoignent aussi nombre de périodiques.
Ce catalogue présente donc une sorte de « bibliothèque idéale », à partir de laquelle se compose l’image d’un Malesherbes ami des philosophes mais surtout du genre humain, privilégiant les recherches utiles, voire pratiques, jusqu’en ses dernières années.
1 Nyon Jean-Luc, III, (17..-1799), libraire (reçu maître en 1765) ; à partir de 1788 travaille avec son fils Marie-Jean-Luc Nyon (J.-D. Mellot et É. Queval, Répertoire d’imprimeurs/libraires (vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France 2004 : n° 3786).
2 Deux exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale de France (cotes: Delta 9840 et Delta 49196) portent les prix de vente.