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Henri François d'Aguesseau




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Henri François d'Aguesseau

Limoges 1668 - Paris 1751


Magistrat et jurisconsulte, d’Aguesseau occupa une place-clé dans le Conseil du roi sous Louis XV. Sa carrière au Parlement de Paris s’est déroulée entièrement au parquet de l’institution, comme avocat général (1690), puis procureur général du roi (1700). Il accède le 2 février 1717 au premier office de la Couronne, la Chancellerie de France, sous la Régence, et occupe cette dignité jusqu’à sa démission en raison de son grand âge, en novembre 1750. Dans cette fonction éminente, il ne dispose de la très politique charge de Garde des sceaux que par intermittence, de février 1717 à janvier 1718, de juin 1720 à février 1722, enfin à partir de 1737 jusqu’à sa démission. Il subit en effet deux disgrâces avec exil sur sa terre de Fresnes près de Meaux (1718-1720 ; 1722-1727), puis un partage des attributions classiques de sa charge avec un Garde des sceaux (Chauvelin) de 1727 à 1737. Ce fut l’occasion de le spécialiser, de fait, dans l’administration de la justice et la réforme de la législation, domaines dans lesquels il excella et où il acquit la réputation qui devait assurer la pérennité de sa mémoire.

Sa formation intellectuelle est celle d’un humaniste nourri aux Lettres anciennes, spécialement latines. À la fois pratique (dans le sillage d’un père intendant de province) et théorique (grâce à des maîtres savants, puis à la Faculté de droit de Paris), sa science juridique est pétrie d’une profonde réflexion philosophique et historique, du goût des sciences exactes et de la connaissance des langues, même modernes, donc d’une forme d’encyclopédisme qui en fait une sommité reconnue de son temps. Son éducation marquée par l’héritage de Port-Royal est « jansénisante », à défaut d’être franchement « janséniste », parce qu’à l’exemple de son père, le conseiller d’État Henri d’Aguesseau, il adopta, surtout après 1717, une prudente réserve à l’endroit de toute forme de radicalisation de ce que l’on peut appeler le « parti » janséniste. Au Parlement, en revanche, il se montre un défenseur résolu, et intraitable, des « Libertés de l’Église gallicane ». Chancelier de France, il reste sur une position pour le moins réservée, voire hostile, à l’endroit de toutes les « prétentions » ultramontaines (infaillibilité et primauté du pape sur le concile, autorité juridictionnelle de Rome en matière de discipline religieuse, etc.), qu’elles proviennent des Jésuites ou de Rome même. Avec un succès variable selon les époques, il est un promoteur inlassable de « l’accommodement » dans la crise politico-religieuse qui n’en finit pas de dérouler ses méfaits, de la publication de la bulle Unigenitus (1713) aux mandements des évêques contre les jansénistes (dès les années 1730) et aux affaires des refus de sacrements (1746), par-delà son ralliement à l’enregistrement comme « loi de l’État » par le Parlement, de la bulle que l’on appelait « Constitution » (août-déc. 1720) et son soutien à toutes les Déclarations royales qui visaient à la « paix » de l’Église de France.

Son œuvre législative est restée un monument, dans le domaine du droit civil spécialement (Ordonnances sur les donations en 1731, sur les testaments en 1735, sur les substitutions en 1749), que l’on considère comme préparatoire du Code civil. Ses Œuvres furent collectées et publiées lentement, après sa mort, de 1759 à 1789, répondant ainsi à une certaine idée de ce qu’il pouvait représenter, sur le plan doctrinal, pour la conservation d’un Ancien Régime que l’on sentait menacé. Il en devint ainsi l’un des esprits tutélaires de la Restauration (1814-15) pendant laquelle sa mémoire fut promue par la réédition/édition de ses Œuvres complètes (1819) auxquelles s’ajoutèrent ensuite la publication de volumes de Lettres (1823) et l’édition de mémoires inédits (1887, etc.). Après un temps d’oubli, la mémoire du chancelier d’Aguesseau a été ravivée en France au sein des Facultés de droit, sur la bases des travaux de recherche du professeur Regnault au milieu du XXe siècle. C’est seulement depuis la dernière décennie de ce même siècle qu’à petits pas, le chancelier d’Aguesseau sortit pour ainsi des prétoires et commença à devenir une « célébrité » – encore méconnue – de l’Histoire et de la pensée de France.

Sa bibliothèque fut un monument reconnu, de son vivant même, comme pratiquement d’utilité publique tant elle s’élevait, visiblement, au-dessus de toutes celles de ses contemporains. Elle représentait clairement l’une des caractéristiques les plus saisissantes de l’esprit d’Henri François d’Aguesseau, son « encyclopédisme » éclairé et son ouverture peu commune à toutes les formes de sciences : des Auteurs anciens aux modernes, des langues anciennes aux modernes, de la médecine aux mathématiques et à la physique, de l’histoire et de la géographie à la politique et à la philosophie ; il collecte mémoires, extraits et copies, recueils de chartes et d’Ordonnances (dont il soutint la publication), sans parler naturellement de l’incroyable richesse de sa bibliothèque juridique. L’acte de liquidation et partage de la succession du Chancelier daté du 19 mai 1752, conservé au Minutier central des notaires parisiens, évalue sa bibliothèque à 50 041lt, près de 4% de la valeur de ses biens propres, une estimation a minima quand l’inventaire après décès allait jusqu’à 50 210lt. François Bluche, dans sa remarquable thèse sur Les Magistrats du Parlement de Paris au XVIIIème siècle (Paris, 1960) remarquait que la bibliothèque des Grandes Robes représentait couramment un capital notable, mais, dans la quasi-totalité des cas, inférieur à 20 000lt.

D’Aguesseau laissa, dit-on, plus de vingt mille ouvrages. L’inventaire après décès en fait une longue et précise description qui ne couvre pas moins de vingt-sept grands feuillets, recto verso. La quantité des ouvrages était telle que le tabellion procéda par lots de volumes, classés en fonction des formats et, sans doute, des matières ; seules les œuvres les plus intéressantes ou les plus rares y sont mentionnées par leur titre.

De fait, la réputation de cette bibliothèque exceptionnelle passait les murs de la Chancellerie, et même de Paris. Dans une lettre du 9 avril 1728 au président Bouhier, Mathieu Marais, évoquant un livre rare que recherchait son correspondant (le Dicæarchiae Henrici regis christianissimi Progymnasmata de Raoul Spifame), précise : « M. Brillon n’a point le livre en question... Je l’ai fait chercher inutilement ailleurs... Je pense que ce livre sera dans la bibliothèque de M. le Chancelier, je l’y ferai chercher ». En somme, chacun pouvait compter sur l’insatiable curiosité d’Henri François d’Aguesseau. En 1750, lorsque l’on apprit que le nouveau chancelier acceptait de « céder la maison de la place Vendôme, qui est au Roi, pour que M. d’Aguesseau continue de l’habiter le peu de jours qu’il a à vivre », l’avocat Barbier comprit la peine ainsi épargnée au chancelier et à sa famille, « d’autant qu’il a une bibliothèque considérable ». Antoine-Léonard Thomas, l’un de ses premiers biographes, remarquait cependant que le Chancelier faisait preuve, même dans ce domaine qui lui était particulièrement cher, de modération et de simplicité, sa préférence allant, non pas aux beaux livres, mais aux ouvrages utiles. Il est vrai que les Catalogues des manuscrits collationnés par Étienne Barbazan, au XVIIIe siècle, ne mentionnent pour la bibliothèque du Chancelier que quatre manuscrits rares : les Tables chronologiques de Mathieu Palmerii, Florentin, finissant à l’an 1448, traduittes sous Charles sept par Jean Cossa (Gr. fol.), le Romuleon traduit par Sebastien Mameret de Soissons en 1466 sous Louis XI, le Pellerinage de l’ame de Guilhaume de Guillerville mis en françois par Jean Gallope dit le Galois (in 4°), et le Roman d’Assaillant, comte de Dam-Martin. La Bibliothèque de l’Arsenal possède d’ailleurs « en provenance de la bibliothèque de M. de Paulmy, antérieurement de la bibliothèque du Chancelier », un manuscrit latin sur parchemin, écrit en gothique et enluminé, relié de maroquin vert aux armes de d’Aguesseau : la Vita venerabilis Julianae de Corel (Acta santorum Bollandi), et Le pélerinage de la vie humaine, sur parchemin, avec de très belles enluminures.

Une vue d’ensemble de cette bibliothèque remarquable est possible grâce au Catalogue des livres imprimés et manuscrits de la bibliothèque de feu M. d’Aguesseau, Doyen du Conseil, publié à Paris, chez les libraires Gogué et Née de la Rochelle, en 1785. Henri François d’Aguesseau, en effet, avait légué sa bibliothèque à son fils aîné, selon les termes du contrat de mariage de ce dernier, « à charge d’une substitution purement masculine ». Mais Henri François de Paule étant mort sans enfant, la substitution de la bibliothèque joua en faveur du cadet, Jean Baptiste Paulin d’Aguesseau de Fresnes, à la mort duquel on en fit imprimer un catalogue en vue de sa vente. La notice introductive est riche de renseignements précieux sur l’origine des ouvrages. On y apprend que les fils de d’Aguesseau, soit manque de goût, soit manque de temps, n’avaient guère enrichi le fonds légué par leur père. Ce dernier, en revanche, avait acquis dans sa jeunesse la plus grande partie de la bibliothèque du poète, philologue et humaniste Claude Chrestien, mort vers 1649 et fils du précepteur d’Henri IV, Florent Chrestien. À chaque décès d’avocats réputés ou bien de célébrités de la théologie et de la philologie tel Toinard (1628-1706), d’Aguesseau tâchait de se procurer quelques-uns ou totalité de leurs manuscrits. Grâce aux Lamoignon, il fit l’acquisition des décisions manuscrites sur la Coutume de Paris qui avaient servi à la composition des Ordonnances de Louis XIV. Il fit copier presque tous les manuscrits de Denis Talon, fils et héritier de l’un des avocats du roi les plus fameux, Omer Talon. Dans ces conditions, il est naturel que la bibliothèque d’Aguesseau ait été l’une des plus originales et des plus utiles de son temps : avec générosité, le Chancelier la laissait « ouverte aux personnes qui étoient accoutumées de venir à l’hôtel d’Aguesseau » ; ses enfants firent de même. Le Catalogue confirme que le Chancelier « se procura quelquefois des livres rares et singuliers, mais l’occasion seule le décida pour ces emplettes et non la fantaisie... », pourtant le libraire ne peut s’empêcher de mentionner avec l’admiration d’un connaisseur, la Bible polyglotte de Walton, la première édition grecque et latine du Pseautier (sic) publié à Milan en 1481, une Anthologie grecque du grammairien et théologien byzantin Planude imprimée à Florence en 1494 et ayant appartenu au pape Léon X, l’original de la rédaction de la Coutume de Paris par Christophe de Thou, ou bien encore un Dictionnaire Egyptien, manuscrit précieux et autographe de La Croze. La bibliothèque du Chancelier restait pour autant essentiellement consacrée au droit, à la philosophie politique, à la religion, aux sciences et à l’histoire. D’après le Catalogue qui comprend 5583 rubriques, ouvrages ou collections, la palme revient à l’histoire qui occupe près de 26 % de l’ensemble, sans compter l’histoire ecclésiastique ; celle-ci, unie aux ouvrages de religion, vient en seconde place (22,69 %), suivie seulement de la jurisprudence (18,66 %) ; les Belles-Lettres et les Sciences et Arts se partagent chacune quelque 14 % de la bibliothèque.

Paradoxalement, ce Catalogue sonna, moins de quarante ans après sa mort, la dispersion de la bibliothèque patiemment construite par d’Aguesseau. Tenter sa reconstitution était une entreprise périlleuse. C’est pourtant en virtuose que Patrick Latour, se risquant à cet exercice, s’est joué de toutes les embûches de l’histoire de la bibliothèque du chancelier d’Aguesseau dans « Bibliothèque(s). Les livres et les lectures d’Henri François d’Aguesseau » (Revue Corpus, n° 52, Nanterre, juillet 2007).



Catalogue des livres imprimés et manuscrits de la bibliothèque de feu M. d'Aguesseau, Paris, Gogué & Née de La Rochelle, 1785.

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Isabelle Brancourt (École normale supérieure de Lyon)
Letzte Bearbeitung: 2018-03-15 11:35:38